Concours de nouvelles sur l'Organisation du travail, de l'ARACT Réunion (2021)

Ce soir-là, au crépuscule, les vagues s’écrasaient sur les rochers de l’hôtel. Dans la salle réservée à l’occasion d’une rencontre entre acteurs du recrutement, je m’installais au premier rang. Dans l’anonymat total. Moi, éducatrice à l’époque, j’exerçais encore mes missions dans le champ de l’action sociale et médico-sociale, et non celui de l’économie marchande. Sans maudire, mais très pensive, j’écoutais un retour d’expérience de session de recrutement. Un responsable RH en restauration et un représentant d’organisme financeur de formation nous narrèrent leur mécontentement en voyant un jour arriver à l’entretien d’embauche, un jeune candidat de 19 ans accompagné par ses parents. « Quelle absurdité de croire qu’en venant avec ses parents, il serait pris au sérieux ! » Alors pour si peu, le candidat, visiblement trop bien entouré, n’eut aucune chance de faire valoir ses talents. Il semble que les « décideurs » puissent jouir à croire en leurs représentations de basse qualité en pensant qu’il leur faille trouver des clones d’eux-mêmes. Ne percevant pas que ce mécanisme de douce dictature du recrutement les aveugle face aux opportunités à saisir pour dénicher des talents. Le talent n’étant pas à associer à un « bon salarié » mais plutôt à la capacité de créer sa propre réalité en se mettant en action et concrétiser nos projets, nos envies. Celle par exemple de s’en sortir en se présentant à un entretien de recrutement pour être autonome financièrement et gagner en compétences, tel que ce jeune homme volontaire et présent à l’entretien. Il ne savait pas qu’il devrait se confronter au jugement aléatoire de ceux qui ont le pouvoir de décider. Recruter un jeune en emploi franc, ok, pour condition qu’il soit « autonome ». C’est bien l’art de faire des raccourcis idiots et dénués de toute capacité à percevoir en l’autre les différences qui font de lui un être acteur de sa propre vie.

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